mercredi, septembre 23, 2009

[Episode 5]

L’espion électronique en mode connexion. Je ressens une vive douleur dans l’entrejambe. C’est le signal du triste retour à la civilisation.



C’était une soirée presque réussie. Je dis presque parce que vous ne savez pas tout.

Lorsque je suis sortie du véhicule, le passager avant, un type n’alignant pas plus de deux mots à la suite, m’enleva le bandeau qui m’avait accompagnée durant presque une heure de trajet. Devant moi, il y avait un homme en costume blanc et derrière lui un magnifique manoir. Le chauffeur et le passager avant le saluèrent brièvement. L’homme leur donna de l’argent et leur dit d’aller s’amuser dans les lieux de convivialité du bourg qui se situe à 10km du manoir. Rendez-vous était pris pour le lendemain à dix heures.

L’homme me fit introduire dans la demeure. Sans un mot. Tout portait à croire qu’il était un homme de main, un valet. Dans la salle d’entrée, il y avait pas mal de tableaux accrochés aux murs. Des portraits d’hommes et de femmes d’une autre époque. L’intuition qu’ils appartenaient à la catégorie des gens puissants. Puis il m’emmena dans une autre pièce, plus grande. Un énorme lustre de cristal nous y accueillit. Ainsi que des tableaux très différents de ceux aperçus précédemment. Plus abstraits. On aurait dit des dessins d’enfants. Ensuite, il me conduisit vers une nouvelle pièce. Pourquoi m’imposait-il la vue de la luxueuse garde-robe appartenant probablement à l’épouse de son chef. « Le maître veut que vous soyez belle ce soir. Vous avez tout ce dont vous désirer ici, robes, lingerie fine, cosmétiques. Le maître a un petit faible pour le rouge. Je reviens vous chercher dans une demi-heure et tachez de ne pas le décevoir. »

Le maître a un petit faible pour le rouge ?!

De retour dans la pièce principale. Seule avec un verre de champagne que je me suis servie pour ne pas avoir les mains vides. Je portais une longue robe rouge au décolleté affriolant et ne cessais de me regarder dans la glace pour savoir de quoi j’avais l’air dans mon déguisement. Une chose était sûre, je me trouvais belle, ce qui me surprenait et me terrifiait également. Dans la milice, la beauté constitue une arme de persuasion contre le mauvais citoyen. Plus vous êtes beau, plus votre pouvoir de coercition est manifeste. Rien à voir avec l’excellence de beauté vue sur les écrans, ces mannequins qui vous incitent à consommer du désir sexuel ; le sexe à la portée de tous, tel est le slogan de working body entertainment, un groupe autrefois américain qui avait été racheté par les russes deux ans après la fin de la guerre, le n°1 aujourd’hui sur le marché.

Je ne savais pas sur quel pied danser, car tout indiquait — le manoir, le champagne, la robe rouge — que ce ne serait pas l’entretien habituel. Je me suis resservie une coupe. L’ivresse m’ôterait toutes pensées contradictoires et m’éviterait tout dérapage. Parce que je n’avais pas le choix. Parce que je n’avais pas envie de me retrouver sur le front. Parce que je n’ai pas envie de mourir. Parce que j’avais le vertige de sensations nouvelles. L’effacement progressif du phantasme me procurait la joie d’être quelqu’un d’autre.

Devant la glace, je commençais à saisir la signification du mot plaire. Je me plaisais. Oui, j’étais belle et je me plaisais.

Malgré une troisième coupe bue d’un trait, je suis assaillie par le doute. Oui, après l’euphorie, le doute. Je sentais sa présence, caché depuis le début parmi les meubles, à m’observer, à étudier tous mes mouvements, mes gestes, à noter des chiffres complexes sur son mini-écran.

Il était là, je le sentais — perdre confiance est une invitation au suicide sans la volonté. À cause de l’espoir. Ce tortionnaire peu enclin à sortir de la carapace en feu et à sang, qui espère encore l’aveu des morts.

« Je suis son cobaye »

Progression de pas lents dans la salle d’entrée d’une précision chirurgicale. L’attention des dignitaires en opposition avec les comportements empressés de la plèbe. Deux mondes différents.

Répétition mentale : « je suis belle et je plais »

Effectivement. Il a marqué une pause avant de s’élancer vers moi d’un pas rapide comme s’il ne maîtrisait plus ses pulsions.

Il me fit le baisemain et s’exclama : « Princesse ! Vous êtes la plus belle des femmes ! » J’étais profondément troublée. À quoi rimait ce surnom de princesse ! Et que pouvait bien signifier la plus belle des femmes. Les miliciens sont une catégorie hors genre. Nous n’avons pas le privilège des autres. Qualification qui m’a valu une réaction totalement inconnue jusqu’alors, une réaction automatique d’autodéfense que j’ai aussitôt traduit par : charme, désir, coquetterie, séduction, ces mots irréels que l’on entend systématiquement sur tous les écrans et qui me faisaient saliver d’envie — quand l’âme et le corps ne sont pas au rendez-vous de l’équilibre, l’Être ne connaît pas le conflit mais seulement l’obéissance aux pulsions domptées par la logique des maîtres. De la théorie je passais à la pratique dans un contexte qui frisait l’absurde : nous avions interverti l’ordre des choses.

Les citoyens des catégories supérieures possèdent la grâce et la beauté. Ils ne subissent pas cette pression constante qu’endurent les catégories inférieures, chez qui la lutte est indissociable de la vie, faisant de la violence verbale et physique une norme. Nous avons la haine des autres, mais surtout de soi. Sinon, nous aurions déjà fait la révolution, pris la place de l’élite. Après tout, nous avons l’avantage du nombre. Or la vue de nos semblables ne peut qu’évoquer la consternation face à l’image de ce corps infâme qui se profile devant nous, cette image indécente de machine rouillée que le miroir nous renvoie en pleine figure, cette représentation des vaincus. Ainsi nos espoirs résident dans ce slogan : un esprit sain dans un corps parfait.

Il représentait le bonheur monde : odeur agréable, voix protectrice, parole maîtrisée, chaleur corporelle. Et un visage d’une incroyable beauté. Mais il y avait une fausse note. L’apparence. Elle ne correspondait pas à la réalité, au présent. À l’écran, c’était un autre homme. Il me rendait folle.

Il me tendit un paquet. Son visage était celui d’un enfant qui veut créer une belle surprise à sa maman.

« Princesse, je vous ai apporté un cadeau. »

C’était une paire de talons aiguilles, de la même couleur que la robe, d’un rouge éclatant. Je remarquais que je portais des ballerines noires. Je les avais choisies pour leur discrétion. Je ne voulais pas qu’il vît les pieds d’une milicienne, des pieds déformés par les longues marches nocturnes, tout le contraire de ceux qu’on nous présentait à l’écran, qui avaient été retouchés afin d’en accroître la grâce — Le bonheur parfait se trouve chez Bérénice L. (créatrice de mode agrée Art Nouveau) C’était une faute de goût à en croire son rictus, et moi je me rendais compte que je n’avais pas respecté les consignes, les désirs du maître. Ce n’était bien évidemment pas volontaire.

« Elles vous iront à merveille, princesse ! »

J’allais retourner dans la petite pièce mais il m’a retenue.

« Faites-le devant moi ! »

Je suis belle et je plais.

Je suis belle et je plais que je ne cessais de répéter, ce qui annihila toute résistance de ma part. Je soutenais son regard, lui faisais les yeux doux. Il observait toute la scène avec un énorme appétit, me rappelant le visage des patients du centre d’aide psychologique qui avaient le ventre creux.

Mes doigts de pieds se relâchèrent et se substituèrent à mes yeux. Je m’amusais à les mouvoir librement avant de les engouffrer dans les entrelacs de cuir rouge, puis de les ressortir comme si leur état sauvage interdisait toute domestication. Puis je les remettais avec attention et tact dans la prison dorée afin de calmer ses palpitations. Je ne voulais pas le vaincre. Je ne voulais pas qu’il s’imagine des choses du genre celle-là elle se prend pour une vraie princesse.

Il me retourna dans tous les sens avant de s’apercevoir qu’il manquait quelque chose, un peu comme un peintre devant une toile sur le point d’être achevée. En quête de la touche finale. Et il savait exactement quoi. Lorsqu’il revint de la pièce d’où on m’avait transformée en princesse, il me fit asseoir, libéra mes pieds de la toile et entreprit de me vernir les ongles. Ses mains tremblaient. Les mains de l’édificateur. Ce qui était plutôt surprenant. En même temps, son désir vacillait au contact de la chair. Je lui pris le pinceau des mains, posa mon pied droit sur son genou gauche avec majesté. Comme on écraserait une cigarette. Il matait avidement tout en s’imposant de ne pas les toucher, ce qui me fit perdre pied. Façon de parler bien évidemment puisque je sentais que je maîtrisais la situation. Le phantasme lui procurait une incroyable libido. Tout le contraire de la dynamique matérialiste prônée par LÉONARD.

J’étais la maîtresse… pour quelques heures seulement.

Il me prit la main et m’entraîna au milieu de la pièce. Il m’examina, sa création, son chef-d’œuvre, des pieds à la tête, de la tête aux pieds, se prenait pour le génial protecteur de tout ce qui est beau.

Il mit un disque. Pas de panique Viviane, tu es belle et tu plais.

Tout se fit très naturellement. Main gauche posée sur l’épaule droite, l’autre dans la sienne. Je n’ai jamais dansé dans ma vie d’adulte et je succombais devant cette impression de légèreté.

— On aurait dit que vous aviez fait ça toute votre vie.

— Je me sens en sécurité auprès de vous, monsieur.

— Allons ! Arrêtez avec vos slogans et ne m’appelez pas monsieur ! Ici, vous êtes au cœur de la civilisation.

« Mais ce n’est pas ce que la civilisation nous ordonne ? Aboyer et se faire aboyer dessus ? Depuis quand la civilisation nous demande de rayer les slogans de la parole. Depuis quand la civilisation nous octroie, à nous la milice, du titre ridicule de prince ou de princesse, mais tellement sensuel venant de sa bouche. Que voulait-il dire exactement ? Me tendait-il un piège à vouloir m’introduire dans un monde merveilleux qui fermerait aussitôt ses portes pour en devenir sa prisonnière ? Mais dans quel but ? Ça n’a pas de sens ! Il n’avait nullement le regard calculateur de celui qui veut vous embarquer dans une histoire de trahison, celle du présent au profit du passé, et dont les conséquences seraient désastreuses. Pour moi. Non. Rien de tout cela. L’homme est un comédien, et il a besoin que je lui donne la réplique pour une raison bien précise. » J’ai répondu avec des yeux doux. Oui, je ferai tout ce que vous me demanderez car nous sommes au cœur de la civilisation.

— Mmm… Sinatra, c’est le monde de la magie. Vous sentez cette langueur ? Ça ne vous donne pas le vertige ? Mmm… écoutez… cette voix, ce tempo lent, l’infinie délicatesse des instruments à vent, l’appel de la trompette, ce bel endormi !

— Vous avez bon goût !, je sentais l’équilibre imparfait entre le naturel du corps et les hésitations de l’esprit, décalage qui pourrait me valoir des ennuis. J’aurais dû contester, faire l’éloge des artistes de la Zato et non lui signifier son bon goût pour ce qui est étranger à l’Art nouveau. Seulement il y avait entre nous ce mot civilisation qui rendait les choses difficiles. J’optais donc pour le funambule sur la corde raide qui considère l’abîme avec des yeux partagés entre la détermination et la peur.

— Sinatra me fait penser à l’atmosphère qui règne dans le roman d’Aline Lefèbvre, la ville aux mille lumières. Vous l’avez lu ?

— Et relu.

Il s’arrêta net de danser, me fixa droit dans les yeux et alla chercher quelque chose. Qu’est-ce que j’avais bien pu dire d’offensant. Je ne saisissais plus très bien la frontière que nous avions tracée. Lorsqu’il revint, il me tendit un livre. J’ai retenu mon souffle.

— Vous ne vous sentez pas bien ?, la satisfaction se lisait sur son visage et accentua mon malaise.

— Oui… tout va bien. Je n’ai pas l’habitude du champagne.

La séduction passait par la manipulation de l’objet rare. Je le tripotais sans jamais lui montrer le moindre signe de faiblesse. Je ne devais pas succomber. Fallait sauver la face.

Ce n’était pas un livre anodin. Lui aussi portait les stigmates du passé, tout comme la demeure, les tableaux, la musique, les talons aiguilles, la robe, le rouge (couleur interdite parce que connotée à la violence), l’homme… le livre que j’avais reçu et à la première page duquel était mentionné : ce livre raconte un passé proche, celui d’une ville où tout a débuté, les chroniques d’un énergumène d’avant la faille qui plongea le monde dans un trou noir. Encore une fois, quel était le but de tout ça ? Et pourquoi ce sourire satisfait. Se doutait-il de quelque chose ?

Car ce livre était la réplique exacte de celui que je suis en train de lire : rouen, la ville au bord du suicide. À une différence près, il n’y avait que des pages blanches. Pas la moindre trace d’encre.

Toutes ces frontières m’embrouillaient la vue. Ce qui me paraissait simple au début se compliquait au fur et à mesure que les règles de bienséance se substituaient au naturel des pulsions. La comédie devenait réalité.

— Vous l’aimez ? Si vous voulez, je peux vous l’offrir.

— Je ne voudrais pas…

— Mais si… prenez-le, en souvenir de cette merveilleuse soirée. Vous verrez, il vous sera d’une grande utilité dans les années à venir.

— Il n’y a rien d’écrit dedans !

— Ses pages ne seront pas éternellement vierges.

— Que voulez-vous dire ?

— Vous savez très bien ce que je veux dire. Tout à l’heure, votre réaction ne m’a pas échappé. Vous aviez le visage de la Reine qui cherche à cacher son amant mais également son assassin alors que se pointe un haut personnage du royaume. Vous connaissez Jean Cocteau ?

— Non.

— Je crois que vous avez bien des choses à apprendre.

Son sourire malicieux sous-entendait quelque chose, mais je ne savais pas quoi exactement. Cocteau, j’en avais entendu parler par un collègue milicien féru de littérature, lequel voulait être écrivain. Mais quand son père s’en était rendu compte, il l’avait sévèrement puni en l’envoyant travailler chez LÉONARD. « Les mots et tes manières de dandy ne nous feront jamais bouffer ! », qu’il lui avait balancé à la figure. Mon collègue détestait par-dessus tout ces écrivains inféodés à l’Art nouveau, ces écrivaillons à la botte de la Zato, qu’il disait, ces gens qui n’éprouvent aucune honte à participer à la destruction de l’œuvre des maîtres, ces gens qui étaient installés au premier rang pour suivre le terrible spectacle de l’autodafé. Il me parlait souvent des auteurs du temps passé et m’avait avoué qu’il écrivait une pièce de théâtre en cachette. C’est comme ça que j’ai su qui était Cocteau.

Je ne pouvais donc que nier. Pourtant j’aurais voulu connaître l’histoire de la Reine et de son amant et à la fois assassin. Je sentais que c’était la clé de l’intrigue. Sauf que mon collègue se trouve sur le front et j’ignore s’il est encore vivant. Quant à l’homme…

— Nous nous occuperons de tout cela plus tard. Si ma princesse veut bien me suivre.

Il m’introduisit dans une nouvelle pièce. Une chambre à coucher. Des odeurs enivrantes de miel, d’orange et de jasmin. Du rouge partout. La lumière tamisée employait à rendre l’ensemble d’une incroyable sensualité. Je me regardai à nouveau dans la glace (oui, il y avait des miroirs partout) Je ne m’en lassai pas de me voir. Surexposition écarlate. Une vraie reine de beauté, qu’il a ajouté. J’ai eu envie de rire. Puis j’ai observé les tableaux. Ou plutôt des photos encadrées. Des portraits d’hommes et de femmes de l’Ancien temps. Ils avaient l’air à la fois heureux et fatigués, à l’exception d’un homme enragé en costume militaire, le poing droit en avant.

« Ah ! Ils vous plaisent, n’est-ce pas ! Tous les visages que vous voyez sont des figures historiques qui ont lutté pour la paix et la prospérité. Le vieil homme souriant est Gandhi, un adepte de la non-violence. Ici, vous avez Aung San Suu Kyi, son alter ego au féminin. Là, vous avez George W. Bush, un dirigeant du feu Etat américain et pourfendeur du terrorisme à son époque. Derrière vous, il y a Bill Gates, un homme prospère qui mit sa fortune au service des pauvres. À sa droite, Margaret Thatcher, une grande dame qui a lutté pour la paix dans le monde. Ici, c’est Albert Einstein, le théoricien de la relativité mais surtout le premier scientifique à défendre la bombe atomique pour nous préserver de la guerre. Ah, j’aime beaucoup celui-ci, il est très différent des autres, n’est-ce pas. Observez-le, ce visage hargneux, ce poing viril. Il se trouve que le tout nouveau président du consortium en est le descendant direct. Peut-être avez-vous déjà entendu parler de M. Alessandro Mussolini ? Tous les deux possèdent cet art de la bouffonnerie. Ce sont des comédiens nés. D’ailleurs, ne voyez-vous pas le chiffre 1 sur son bonnet militaire ? Incroyable destin, n’est-ce pas ? Tout comme celui du fondateur. Un excellent comédien dans sa jeunesse. Il avait battu les records de victoire aux jeux d’écran-réalité. Et avec les gains, il a bâti tout un empire. Un bel exemple de réussite, n’est-ce pas ?

« Ce qu’il y a de formidable, c’est que tous ces images sont la propriété de LÉONARD. Le fondateur avait compris qu’il devait se les accaparer, qu’ils ne tombent pas entre de mauvaises mains. L’histoire ne doit pas être de la propagande. C’est d’ailleurs la raison qui entraîna le fondateur à sélectionner les événements du passé. Non pas, comme l’affirment les terroristes, dans le but de l’occulter, mais à des fins de paix. Les gouvernants d’autrefois ne l’avaient pas compris, ce qui a causé leur propre destruction. Les Etats ne se faisaient plus entendre à cause de la popularisation des sources. Ainsi, il n’y avait plus une version officielle mais des. Et chacun prenait l’histoire à son compte. Tout le monde avait raison !

« Jusqu’au jour où un groupe d’activistes connu sous le nom de Global children against States spammèrent les sites les plus visités de l’époque, tels que myspace, facebook ou twitter, de messages de lutte. Contrer ce qu’ils appelaient le mensonge officiel. Les gouvernements tentèrent une riposte. Mais trop tard. Car en plus des spams, les terroristes avaient lancé l’opération upgrade the world, qui consista à planter le réseau informatique mondial par l’utilisation de virus mutants dernier cri, ce qui eut pour conséquence une déréglementation de l’économie à l’échelle planétaire, et donc une crise sans précédent. Ils avaient subi une attaque foudroyante. Certains États, très puissants à l’époque, disparurent purement et simplement de la carte géopolitique.

« Ah… Qui n’a pas entendu parler des Etats-Unis d’Amérique, la civilisation de l’époque. Il contrôlait une grande partie des ressources d’énergie mondiale. Seulement les activistes de tous bords leur menaient la vie dure. Ils étaient considérés comme une armée d’occupation. Malgré une puissante infrastructure militaire, tout allait de mal en pis. Ils se battaient contre un ennemi invisible.

« Et puis il y a eu le coup de grâce. Le virus venu de l’intérieur. Les fameux Global children against States. Le pays entra dans une ère de guerre civile, la seconde de leur éphémère histoire. L’État fédéral fut vaincu et le gouvernement s’exila à Terre-Neuve où ses membres formèrent un gouvernement d’Union nationale.

« Les activistes créèrent des comités du salut public dans chaque grande ville et commencèrent à mener la chasse aux sorcières. Ils exécutèrent dans les stades tous les suspects. C’était l’hystérie collective. Puis ils décidèrent d’exporter la lutte dans le monde, s’alliant avec d’autres activistes avec qui ils n’avaient d’ailleurs pas forcément les mêmes affinités sauf celle de lutter contre ceux qu’ils nommaient les impérialistes. Ces alliances factices incluaient entre autres les djihadistes, les anti-sionistes, les maoïstes indiens, le front anti-sécuritaire, les activistes anti-globaux, les fronts de libération du Turkménistan Oriental, du Tibet, du Kurdistan, les anti-modernes, les séparatistes flamands, et encore j’en oublie. Plusieurs États tombèrent entre leurs mains. Alors les consortiums eurasiatiques décidèrent de prendre les choses en main. Ils étaient conscients qu’ils ne devaient pas suivre le même sort que leurs associés américains.

« Le fondateur, encerclé dans son siège social parisien, prit la fuite en hélicoptère et installa son QG à Rouen. Paris tombait le lendemain à midi, ainsi que d’autres grandes villes européennes. Jean-Baptiste Léonard et Wolfgang Jodl, chacun à la tête des deux plus puissants consortiums d’Europe, menèrent avec leurs alliés russes et asiatiques une guerre sans merci contre les terroristes jusqu’à la prise de Shanghai. Le conflit dura sept mois.

« Les peuples ne pouvaient plus supporter la tyrannie des activistes, qui assassinaient femmes et enfants… et ils avaient faim. Des comités de résistance se sont donc mis en place un peu partout, sabotant les infrastructures ennemies. Cependant, nous avions conscience que les villes devaient être prises par nos forces armées afin de ne pas se laisser déborder comme ce fut le cas à Bombay où les résistants hindis nous devancèrent et proclamèrent sans consultation leur État. Nous ne pouvions évidemment pas accepter. Non seulement, cela représentait un danger pour les populations musulmanes, soit un nouveau risque de débordement, mais nous savions que le règne de l’État-nation était bel et bien terminé et que, désormais, c’était à nous d’écrire l’Histoire.

« Il a fallu reconstruire sur les ruines. Des villes entières furent rasées et laissées à l’abandon. Dont un bon nombre de capitales. À Paris, les derniers terroristes avaient tout fait sauter à l’arme chimique avant de prendre la fuite. D’autres comme Madrid, Prague, Damas et Bangkok subirent des attaques bactériologiques. Des zones contaminées. Des cités de l’histoire ancienne.

« Ah ! Je vous sens bien triste tout d’un coup, ma princesse ! Cela m’arrive parfois aussi. Je ne suis pas infaillible, vous savez. Dans ces cas-là, je me recueille ici pour trouver le réconfort auprès des icônes. Ils me donnent les ressources nécessaires pour ne pas désespérer. Ils m’encouragent dans la lutte qu’ils avaient commencée, la lutte pour la paix et la prospérité. Leurs pulsions de mort contre nos pulsions de vie. C’est pour cela que nous devons contrôler le futur. Regardez ce qui se passe à l’Est du continent américain, le peuple nous assiste dans le conflit qui nous oppose à ce qui reste des activistes du Global children against States. C’est formidable, n’est-ce pas ! D’ici peu de temps, nous aurons libéré l’Ouest et à nous la victoire ! Nous comptons sur votre génération pour cela. N’oubliez pas que le fondateur vous regarde. Nous sommes une grande famille, vous savez. »

Les dernières phrases me glacèrent le sang. Ainsi que son exposé. Très éloigné de ce que j’avais entendu raconter. Mais je n’étais qu’une petite fille. Fichue trouille qui me faisait perdre l’équilibre. Lorsqu’il me prit par la taille.

« Vous avez froid, ma princesse ? »





À SUIVRE…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire